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N° 7 – 26 juin 2020

Pouvoir des municipalités pour encadrer la pêche sur glace sur leurs territoires

La fonte de la glace des nombreux plans d’eau du Québec peut occasionner des accidents impliquant des personnes qui pratiquent la pêche sur glace (« pêche blanche »). Afin d’assurer leur sécurité, certaines municipalités souhaitent encadrer, voire limiter la pratique de cette activité. Bien qu’une réglementation à cet égard soit possible, il existe toutefois des limites qui sont entre autres imposées par le partage des compétences constitutionnelles relatives à la pêche et à certains cours d’eau du Québec, de même que par les pouvoirs octroyés à quelques ministères concernant la pratique de la pêche.

Cadre légal de la pêche

Sur le plan constitutionnel, « les pêcheries » sont une compétence exclusive de juridiction fédérale. Celle-ci a été interprétée largement comme permettant au gouvernement fédéral de réglementer, de protéger et de préserver le poisson à titre de ressource publique. Relève donc de cette attribution, par exemple, la réglementation des méthodes de pêche, des saisons pendant lesquelles la pêche est permise ou encore du type de poisson que l’on peut pêcher.

Cette compétence sur les pêcheries ne confère cependant pas la propriété de cette ressource au fédéral. Ce sont plutôt les provinces qui sont propriétaires de la ressource et ce titre leur confère une autorité qui peut toucher plusieurs aspects de la pêche. Par exemple, il a été reconnu que les provinces peuvent interdire la pêche à toute personne n’ayant pas de permis et peuvent déterminer les conditions d’émission de ces permis. 

La superposition des attributions fédérales et provinciales étant susceptible de créer de la confusion, le parlement fédéral a décidé de déléguer aux provinces son pouvoir de réglementer la pêche. Pour le Québec, le gouvernement du Canada a conféré au ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) et à certains de ses fonctionnaires des pouvoirs portant sur la tarification ou l’imposition de conditions et d’interdictions en ce qui concerne, par exemple, la pêche sportive.

Notons finalement que le parlement fédéral possède d’autres compétences législatives exclusives qui peuvent avoir un impact sur la pratique de la pêche, particulièrement sa compétence sur la navigation. Le ministère fédéral responsable, Pêches et Océans Canada (MPO), continue donc d’exercer un rôle en matière de pêche malgré la délégation faite au gouvernement du Québec. 

De façon générale, les municipalités ne disposent que des pouvoirs qui leur ont été délégués par le parlement du Québec et elles ne peuvent adopter de règlements qui entrent en conflit avec une loi ou un règlement provincial. De plus, le gouvernement auquel un pouvoir a été délégué ne peut à son tour le déléguer à une autre instance. Pour ces raisons, une municipalité ne peut interdire la pêche blanche, et ce, même si elle l’estime risquée sur les plans d’eau situés sur son territoire. Quant au MFFP, il a le pouvoir d’interdire la pêche pour des motifs liés à la conservation de la ressource.

Si les municipalités ne peuvent intervenir directement sur la pêche blanche, elles possèdent en revanche certains outils leur permettant d’assurer un encadrement sécuritaire de sa pratique sur leur territoire (voir note 1) et leur donnant le pouvoir d’adopter des règlements concernant les cours d’eau (rivières, lacs, canaux ou fleuve).

Cadre légal des cours d’eau

Les provinces sont, en général, propriétaires des cours d’eau situés sur leur territoire. L’exercice de leurs droits de propriété doit cependant tenir compte de la compétence législative du parlement fédéral sur la navigation. Toute municipalité souhaitant adopter une réglementation sur un cours d’eau situé sur son territoire doit, avant tout, s’assurer qu’elle n’entre pas en conflit avec des lois ou des règlements adoptés par le Québec ou par le fédéral, ce qui peut s’avérer relativement complexe en raison du chevauchement des compétences d’ordre provincial et d’ordre fédéral.

Ainsi, en vertu de :

  • l’article 919 du Code civil du Québec, l’État est propriétaire du lit des cours d’eau jusqu’à la ligne des hautes eaux;
  • l’article 1 du Règlement sur le domaine hydrique de l’État, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques est autorisé à convenir d’une délimitation et à consentir à l’aliénation, la location ou l’occupation des rives et du lit des rivières, des fleuves et des lacs faisant partie du domaine de l’État, ainsi que sur le lit, les lais et les relais de la mer;
  • la LCM, les municipalités régionales de comté (MRC) ont compétence sur les cours d’eau à débit régulier ou intermittent, y compris ceux ayant été créés ou modifiés par une intervention humaine (art. 103);
  • la Loi sur la protection de la navigation (LPN), Transports Canada a compétence sur tout ce qui concerne la navigation, laquelle s’étend à tous les cours d’eau navigables du Canada.

Pouvoirs réglementaires octroyés aux municipalités

En vertu de l’article 6 de la LCM, une municipalité peut adopter des règlements prévoyant, notamment :

  • toute prohibition;
  • les cas où un permis est requis; la municipalité peut alors limiter le nombre de permis, en prescrire le coût, les conditions et les modalités de délivrance et prévoir les règles relatives à sa suspension ou à sa révocation;
  • des règles à respecter, en s’appuyant notamment sur des normes existantes;
  • l’application d’une ou de plusieurs dispositions à une partie ou à l’ensemble de son territoire;
  • des catégories et des règles spécifiques pour chacune.

Comme mentionné, les pouvoirs réglementaires de prohibition et d’émission de permis ne peuvent être exercés au regard de la pêche directement. Ils permettent cependant aux municipalités de mettre en place un cadre sécuritaire pour la pratique de cette activité sur son territoire.

Par exemple, la pêche blanche se pratiquant généralement en installant des cabanes de pêche sur la glace, les dispositions prévues à l’article 6 de la LCM permettraient à une municipalité d’encadrer des villages de pêche. Elle pourrait alors obliger les propriétaires de cabanes à obtenir un permis et à se conformer à des normes de sécurité (distances entre les cabanes, taille réglementaire des trous de pêche, etc.). Les articles 55 et 62 de la LCM permettent également d’établir des dispositions réglementaires en matière de salubrité et de sécurité applicables à ces sites de pêche (p. ex. réglementer les périodes durant lesquelles l’installation de cabanes est permise). Une municipalité peut également offrir des services d’entretien et de sécurité sur ces sites (déneigement, ramassage des ordures, agents de sécurité, etc.), pour lesquels elle peut imposer une tarification (Loi sur la fiscalité municipale, art. 244.1). Une telle tarification ne peut toutefois avoir pour effet de financer les coûts d’intervention d’urgence en cas d’accident lié à la pratique de la pêche blanche (Règlement sur les conditions ou restrictions applicables à l’exercice des pouvoirs de tarification des municipalités, art. 1).

Par ailleurs, si une municipalité ne veut pas entretenir un village de pêche, il lui est également possible d’adopter un règlement en matière de sécurité (LCM, art. 62) visant, par exemple, à restreindre la présence sur glace lorsque celle-ci n’apparaît plus sécuritaire, que ce soit à compter d’une période particulière ou lors des opérations de déglaçage des cours d’eau.

Dispositions réglementaires prévues dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme

En vertu de ses compétences en matière de zonage, une municipalité peut contrôler l’établissement de cabanes à pêche sur son territoire sans avoir à veiller à la mise en place et à l’entretien de sites tels que des villages de pêche. Elle peut en effet adopter un règlement de zonage pour tout ou une partie de son territoire, lui permettant de spécifier les constructions ou les usages autorisés et ceux prohibés (LAU, art. 113).

Il est donc possible d’adapter le zonage afin de permettre la construction de cabanes à pêche à certains endroits uniquement, considérant toutefois qu’une municipalité ne peut interdire sur l’ensemble de son territoire un usage du sol par ailleurs licite. Un tel règlement ne pourrait donc avoir pour effet d’interdire la construction de cabanes à pêche sur l’ensemble du territoire d’une municipalité.

Cette option permet de cibler les lieux les plus à risque d’accidents ou de limiter la construction de cabanes en des zones spécifiques afin de faciliter la surveillance et l’évacuation de la glace en cas de problème.

À noter qu’une modification du règlement de zonage pourrait être soumise à l’approbation référendaire des résidents des zones contiguës en vertu de l’article 123 de la LAU.

Établir des ententes avec les organismes concernés

L’installation de cabanes à pêche sur les voies d’eau navigables doit se faire en conformité avec la LPN, dont l’article 9 interdit de construire ou d’installer un ouvrage sur un cours d’eau navigable s’il risque de gêner sérieusement la navigation.

Par conséquent, afin de coordonner les activités des autorités compétentes concernées, la municipalité qui désire adopter une réglementation pour encadrer les cabanes à pêche sur son territoire pourrait avoir à conclure des ententes avec le gouvernement fédéral visant, par exemple, à reconnaître les plans d’aménagement des aires de pêche et à autoriser l’installation de cabanes à pêche. Considérant également que la Garde côtière canadienne est responsable de la surveillance de la glace et du déglaçage sur les cours d’eau navigables, des ententes pourraient être conclues pour lui permettre de tenir la municipalité informée de l’état de la glace et des opérations de déglaçage.

Il est toutefois important de rappeler qu’en vertu de l’article 3.11 de la Loi sur le ministère du Conseil exécutif, un organisme municipal ne peut, sans l’autorisation préalable du gouvernement, conclure une entente avec un autre gouvernement du Canada, l’un de ses ministères ou organismes gouvernementaux, ou avec un organisme public fédéral. Cette autorisation est donnée par décret (voir note 2). Il appartient donc aux municipalités d'entamer les démarches nécessaires auprès des différents ordres de gouvernement concernés afin de s’assurer de la conformité de leur réglementation et des ententes qu’elles pourraient conclure avec le gouvernement fédéral, le cas échéant.

Limites territoriales de la municipalité

Avant d’adopter un règlement permettant d’encadrer la pratique de la pêche blanche sur son territoire, une municipalité doit s’assurer que ses limites territoriales s’étendent au-delà des rives du cours d’eau considéré (voir note 3). Dans le cas contraire, différentes options demeurent envisageables :

  • à titre de municipalité locale, la MRC peut adopter un règlement afin d’encadrer la pratique de la pêche blanche sur le territoire non organisé (TNO) aquatique concerné;
  • la municipalité peut adopter un règlement permettant, après approbation de la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation :
    • d’annexer le TNO aquatique (LOTM, art. 126 à 176);
    • ou d’étendre ses limites territoriales au-delà des bordures riveraines (LOTM, art. 200 et ss.).

Il importe également de mentionner que, dans le cas d’un cours d’eau partagé par plus d’une municipalité, l’adoption d’un règlement permettant d’encadrer la pêche blanche ou la présence sur la glace ne s’appliquerait qu’à la portion de territoire de la municipalité adoptant le règlement. Dans une telle situation, il peut être pertinent de veiller à ce que toutes les municipalités partageant le plan d’eau concerné adoptent des règlements concordants. Il est également possible de déléguer à la MRC la responsabilité d’adopter un règlement à cet égard, ce qui permettra une action concertée des différentes municipalités.

Imposition de sanctions financières

Afin d’inciter les citoyens à respecter la réglementation municipale en vigueur, qu’il s’agisse d’un règlement relatif aux cabanes à pêche ou à la présence sur la glace pour des raisons de sécurité, une municipalité peut imposer des sanctions financières en cas d’infraction à l'une des dispositions de son règlement, en vertu des articles 455 du Code municipal et 369 de la Loi sur les cités et villes.

Compétences non réglementaires en matière de sécurité

En dehors de ses pouvoirs réglementaires, une municipalité peut, par résolution, adopter toute mesure non réglementaire (p. ex. : une politique, une directive ou toute autre décision de nature administrative) pouvant assurer la sécurité de la population sur son territoire. Si l’adoption d’une telle mesure ne permet pas d’imposer des règles aux citoyens, elle permet toutefois à une municipalité d’instaurer divers moyens d’information et de sensibilisation auprès de la population sur les dangers de la pêche blanche.


Notes

  1. Loi sur les compétences municipales (LCM) et la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU)
  2. Pour plus d’information sur le processus lié aux demandes d’autorisation, voir le Muni Express n° 14 du 5 décembre 2017.
  3. À noter que lors de l’adoption de la Loi sur l’organisation territoriale municipale, certaines modifications au Code municipal et à la Loi sur les cités et villes entraînaient la perte des limites territoriales municipales situées dans les cours d’eau. Si aucune demande de conserver les limites territoriales existantes n’a été effectuée à ce moment, il est possible que la portion s’étendant dans le cours d’eau avant l’adoption de la LOTM soit aujourd’hui un territoire non organisé aquatique.


Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation
10, rue Pierre-Olivier-Chauveau
Québec (Québec) G1R 4J3
Téléphone : 418 691-2015

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